L’Oenothère de Berland est un piège mortel pour le Morosphinx. | |
Frédéric Lagarde, Johanna Corbin, avec les témoignages de Jean Meloche, Jean-Denis Bellot. Deux-Sèvres Nature Environnement Le déclin des insectes pollinisateurs en Europe est en partie attribué à l’intensification des pratiques agricoles, responsable de l’homogénéisation des milieux et de la diminution de la diversité végétale. De nombreuses plantes hôtes pour les chenilles disparaissent ainsi que des plantes riches en nectar pour les adultes. Dans un tel contexte de crise écologique, les zones végétales de détente comme les parcs ou les jardins peuvent être des milieux de substitution intéressants garants d’îlots de biodiversité et permettant de soutenir certaines espèces de pollinisateurs. Ce sont souvent les espèces végétales cultivées les moins modifiées par rapport aux espèces souches locales qui paraissent les plus intéressantes pour les pollinisateurs locaux. Cependant, certaines espèces exotiques introduites peuvent être attractives et même participer à l’expansion de certains insectes. Elles risquent aussi de générer des effets inattendus, complexes et parfois pervers. |
Le Morosphinx ne peut se libérer de la fleur de l'Oenothère et meurt d'inanition (photo Fédéric Lagarde) |
Ainsi, depuis quelques années, une nouvelle espèce d’Onagracée est disponible dans les catalogues de plantes d’ornement pour les jardins particuliers : l’Oenothère de Berland (Oenothera berlandieri), aussi appelé « Siskiyou ». Cette Oenothère, originaire de Californie, présente une floraison importante de jolies fleurs roses, qui s’ouvrent dans la journée. La floraison s’étale dans nos jardins de mi-mai à fin juin. En Californie, de nombreux Sphinx sont des pollinisateurs efficaces des Onagracées : Sphinx chersis, Sphinx perelegans, Proserpinus clarkiae. En effet, la floraison pour de nombreuses espèces a lieu en fin de journée et début de soirée et attire de nombreux sphingidés, souvent nocturnes. Les sphinx n’ont généralement pas besoin de plate-forme d’atterrissage pour butiner mais ont une besoin énergétique élevé pour maintenir constamment un vol actif. L’énergie provient du nectar des fleurs, et la forme du long tube floral guide le cheminement de la trompe démesurée jusqu’à la source de nectar. Lorsque le sphinx engage sa trompe dans la longue corolle de la fleur, les grains de pollen s’accrochent à sa surface et s’agglutinent ensuite facilement dans les écailles qui couvrent son corps. Il est alors prêt à féconder une autre fleur lors d’une prochaine halte.
L’Oenothère « Siskiyou », par sa floraison diurne attire efficacement dans nos jardins bourdons, abeilles et Morosphinx (Macroglossum stellatarum). Ce dernier engage sa longue trompe dans l’étroit hypanthium qui se révèle alors un piège mortel : une fois la trompe plongée dans les tréfonds de la fleur, l’insecte ne peut s’en dégager et meurt, pendant, ridicule. Le piège semble uniquement mécanique : l’espace entre pistil et l’hypanthium est trop faible pour permettre au papillon de se désengager. Le végétal et le Sphinx ont évolué sur des continents distants de milliers de kilomètres et leurs morphologies respectives ne sont pas co-adaptées... Ainsi, une plate-bande modeste comportant 50 fleurs épanouies en moyenne par jour a capturé 25 sphinx en 10 jours. Dans un autre jardin, ce sont plus de 20 individus qui ont été retrouvés piégés par un massif de modeste taille. Et ces observations se multiplient. L’Oenothère de Berland constitue donc un piège mortel pour l’un de nos plus fascinants papillons : le Morosphinx.
Contact :
Deux Sèvres Nature Environnement Hôtel de la vie associative 12 r Joseph Cugnot - 79000 NIORT tel : 05 49 73 37 36 deuxsevres.nature@laposte.net Envoyé pour publication à : L'ami des jardins, Les quatre saisons du jardinage, Le courrier de la nature, Le Bulletin de DSNE, Et toute autre idée... |
2003 : L’Année du Sphinx | |
Philippe Rouillier. Début août, vallée de la Dive : La découverte d’une gigantesque chenille du Grand Sphinx de la vigne (Deilephila elperor) préludait à ce qui devait devenir une année exceptionnelle pour l’observation des sphinx. Le beau temps persistant semble avoir favorisé le développement des larves et contribué à l’éclosion des chrysalides. | Petit Sphinx de la vigne, ou Petit Pourceau - Deilephila porcellus L. (photos : Jean Meloche) |
Le Sphinx du peuplier, Laothoe populi L. |
Quinze jours plus tard des dizaines d’énormes Sphinx du liseron (Agrius convulvoli), à l’abdomen barré de rose et de blanc, se donnaient rendez-vous chaque soir à partir de 21 heures dans mon jardin. Plus chanceux que les moro-sphinx, ceux-ci ont trouvé calice à leur trompe dans l’exubérante floraison des belles de nuit.
Pour qui s’était habitué deux mois plus tôt à la visite des colibris, le spectacle de ses gros papillons en vol sur place, marche avant, marche arrière, me ramenait vers le nouveau-monde. Le jeu consistait chaque soir à rechercher une nouvelle espèce. Opération réussie le 27 août avec la capture d’un Sphinx de l’ésule (Hyles euphorbiae)aussitôt libéré, puis l’observation quelques jours plus tard d’un Sphinx livournien (Hyles livornica). Ce dernier grand voyageur, présent dans les régions favorables du monde entier se reconnaît à son thorax brun décoré de fines lignes blanches.
Dernier acte fin septembre, avec la visite d’un voisin m’apportant l’énorme chenille qu’il venait de croiser sur un chemin riverain de la forêt de Benon. Celle-ci, jaune passé avec des chevrons bleutés, bien que présentant des similitudes avec les anciennes fourgonnettes des Postes était en réalité une chenille de
Sphinx à tête-de-mort (Acherontia atropos), le plus gros des sphinx visibles en Europe. La bestiole impressionnante par sa taille a également interpellé un habitant de la Forêt sur Sèvre qui, inquiet de la voir s’enterrer dans ses carrés, l’a aussitôt attrapée et apportée pour se rassurer à son vétérinaire...
Mi-octobre, le papillon à tête de mort était, cette fois, observé à Saint-Georges de Rex et sur le mur de la bibliothèque de Frontenay Rohan Rohan, ce qui lui a valu la faveur de la presse. D’autres sphinx, comme ce sphinx du troène présent au mois d’août à Parthenay, dont la chenille vit sur les lilas et les troènes ou la chenille du sphinx demi-paon, dévorant des feuilles de saule ont été observés cette année. Alors si vous aussi avez été séduit par cette présence presque exotique n’hésitez pas à faire parvenir vos observations au fichier de l’association, peut-être avez-vous redécouvert la Proserpine, Petit Sphinx des fuchsias et des épilobes, cher à Robert Lévesque, qui semble avoir disparu de notre département depuis quelques années. |
Nouvelle République du Centre Ouest - 14 octobre 2003. |
La Cigale ayant chanté tout l'été... | |
Simone Marseau, avec la collaboration de Robert Lévesque et Jean Meloche. Nous connaissons tous ces vers de La Fontaine et la morale de la fable « La Cigale et la Fourmi ». Durant cet été particulièrement chaud, les cigales ont chanté dans les jardins et les buissons. Des adhérents se sont étonnés d'entendre durant le mois de juillet ces concerts répétitifs. Certains nous ont demandé s'il s'agissait de la Grande Cigale du midi (Lyrister plebefus), grand insecte dont on connaît les photographies mais qu'il est difficile d'observer. |
La Cigale Rouge, Tibicina haematodes, en émergence. |
Donc, ce soir de juin 2003, vers 18 heures, une larve de Cigale rouge (Tibicina haematodes), après plusieurs années de vie souterraine, grimpe le long d'un tronc de prunier pour entreprendre sa dernière métamorphose. Elle s'arrête à un mètre du sol. Pour assurer son équilibre pendant cet exercice long et périlleux, elle se cramponne à l'aide de ses six pattes et de l'extrémité de son abdomen. La peau brune de son thorax se fend en long pour laisser sortir un insecte adulte, encore humide, de couleur vert clair. Quelques fourmis qui se promenaient sur le même tronc semblent attirées par ce spectacle peu banal. Mais il ne faut pas faire d'anthropomorphisme. Les entomologistes savent que lorsqu'un insecte est en difficulté, des fourmis arrivent. Dans le cas de cette Cigale rouge, Jean Meloche a observé que des fourmis s'affairaient à la base des ailes de la future cigale adulte. Ces ailes, permettant un vol effectif de l'adulte, sont formées d'une mince membrane, soutenue par un réseau de nervures creuses, et se remplissant d'hémolymphe, qui va durcir à l'air. | La Cigale à la sortie de l'exuvie, présente des nervures claires. |
Après quelques heures de séchage, les nervures sont rouge sombre et dures. |
Les ailes, qui étaient fripées à l'intérieur de la larve, vont se gonfler, en écartant leurs nervures, dans lesquelles l'hémolymphe est injectée sous pression. La photographie montre très bien ce gonflement. En durcissant, les nervures deviendront rouges brunâtres. Les ailes deviennent alors fonctionnelles et la cigale peut s'envoler à la recherche d'un partenaire sexuel. Ce ne sera pas le cas pour cette petite cigale rouge. Quelques fourmis interceptent pour s'en nourrir l'hémolymphe, empêchant ainsi l'aile de se déployer. Incapable de voler, la cigale va tomber sur le sol, où elle sera bientôt la proie d'un prédateur. Cette très belle photo, peu banale, raconte un drame banal dans un jardin. Heureusement, à la même heure, sur le même tronc de prunier, deux autres cigales rouges ont pu mener à terme leur mue et s'envoler sans se soucier de leur pauvre congénère condamnée. Après la dernière mue, la larve abandonne son ancienne peau, rigide, transparente que l'on appelle exuvie ; on trouve plus souvent ces exuvies que des cigales vivantes. Ces cigales rouges se nourrissent de la sève des arbres et des arbustes. Les mâles émettent un chant par la mise en vibration de structures spéciales, les cymbales placées de chaque côté de l'abdomen. On entend leur chant, au mois de juillet, entre 10 et 16 heures, aux heures les plus chaudes. Les adultes, d'une longueur de 25 à 38 mm, vivent environ un mois. Les femelles pondent une quarantaine d'œufs sur des rameaux. Ils éclosent pour donner de jeunes larves qui vont se laisser tomber sur le sol, dans lequel elles vont se développer un certain nombre d'années (quatre en général) en dévorant des racines. Pour entreprendre leur métamorphose, elles grimpent le long d'un arbre ou d'un arbuste. |
Une autre cigale, la Petite Cigale des montagnes (Cicadetta montana) vit dans nos régions. Elle est plus petite (16 à 20 mm) plus trapue, plus foncée que la cigale rouge. Son aire de répartition s'étend jusqu'en Angleterre. Son chant, qui est avant tout un appel nuptial, est très discret. On la trouve dans les zones sèches du Pinail, où elle semble abondante. Robert Lévesque en a capturé en forêt de Chizé.
Une cigale plus méditerranéenne, vivant sur les pins, la Cigale de l'Orne (Cicada orni - 23 à 28 mm) vit dans la forêt de la Coubre, où Robert Lévesque l'a observée.
On ne trouve pas en Poitou-Charentes la Grande Cigale du Midi (Lyrister plebefus - 30 à 37 mm) dont l'appareil stridulent chante du lever au coucher du soleil. « C'est une importune voisine... avec cet étourdissant concert, la pensée est impossible » écrivait l'entomologiste Fabre qui a étudié en détail l'appareil musical de la cigale la plus commune. Bibliographie : - Les insectes dans leur milieu, P. Leraut, ed. Bordas 1990. - Les insectes d'Europe, M. Chinery, ed. Elsevier 1976. - Souvenirs d'un entomologiste, Fabre. |
Après l'émergence, il ne reste que l'exuvie, le squelette externe vide. |